Arrêt sur collage

arrêt sur collage - sur une oeuvre de Cordula Kagemann

« J'fais des trous, des p'tits trous, encore des p'tits trous
Des p'tits trous, des p'tits trous, toujours des p'tits trous (…) »
chantait Serge Gainsbourg dans sa célèbre chanson Le poinçonneur des Lilas.
Kagemann elle,  ne fait pas de petits trous mais construit son œuvre avec une technique et une démarche originales. Mélangeant pâte à papier, peinture et collage, elle donne à voir ce qui ne devrait pas être vu grâce à l’agencement de perforations qui font de cette absence la marque de sa propre présence.
Ce ne sont pas les hublots du Yellow Submarine des Beatles donnant à voir un nouveau monde fantasmagorique – bien que ! – mais des fenêtres ouvertes sur le secret de l’athanor de l’artiste – puisque bien au-delà de l’œuvre, elles en dévoilent l’au-dedans.
Et du langage de l’âme pour l’âme, ses œuvres en réponse expriment l’âme qui est derrière l’âme, le miroir derrière le miroir, le reflet derrière le reflet, où ne se reflète justement aucun reflet.
Lorsque Gérard de Nerval eut entre ses mains sa photo-portrait prise par Nadar, il écrivit au verso : Je suis l’autre.
Cordula, sur le même fil poétique, est en ses œuvres l’au-dedans de l’au-delà de l’autre – un au-delà des songes qui préfigure l’au-dedans des signes.
Si jadis, les adeptes de la pierre philosophale ont tenté vainement de changer le plomb en or, Cordula quant à elle, a su permuter l’absence en présence et l’invisible en visible, en inversant les codes populairement admis - faisant oublier par là même qu’un trou de mémoire n’est pas forcément un vide, qu’il peut être une nouvelle prescience pour l’à venir, comme la nouvelle interprétation d’une lame que le Tarot divinatoire lui même n’aurait su deviner.
Aux poètes de la Pléiade qui, de dizains en sonnets, se languissaient de multiples absences,  nous pouvons à présent répondre qu’il suffit de savourer la présence absente pour en éliminer toute absence présente.

arrêt sur collage - sur une oeuvre de Cyril Sandou

Il existe un rapport affectif entre la musique et l’art du collage, rapport qui ne date pas du dernier orage – et ce bien avant que le jazz et la java ne s’en mêlent - puisque dès le début du 19ème siècle M. Ingres avait pour violon – non pas le violon d’Ingres – mais plutôt le collage.
 D’ailleurs, l’inventeur de l’art du collage, sous le règne de Louis XIV, était lui-même – et entres autres – parolier et auteur de chansons qui sont restées dans la mémoire collective – pour ne pas dire auditive – jusqu’à l’aube du XXème siècle.
 Une partie non négligeable de la musique contemporaine est elle-même basée sur le collage des sons : telle la musique concrète inventée en France dans les années 1950 par  Pierre Schaeffer et dont Pierre Henry est l’un des illustrateurs.
 Ce n’est d’ailleurs pas par hasard que l’un des maitres de l’art du collage, Jacques Villeglé organisa il y a une dizaine d’années une exposition de ses œuvres accompagnées des enregistrements de ce compositeur de collages musicaux.
 Sans parler de Louis Armstrong lui-même qui composa  pas moins de 500 collages…
 Ni des insertions collagistiques & musicales, popularisées par Les Beatles et ce dès 1966 avec leur album dénommé Revolver…Quarante cinq ans après leur dissolution,  on peut mesurer chaque jour la modernité de leur démarche  artistique que quatre milliards de disques vendus ne démentent pas.
 Enfin, c’est sous le titre Un air dans la tête que tout un chapitre de l’ouvrage L’art du collage au cœur de la création s’intéresse au lien entre collage et musique, en interrogeant les artistes collagistes sur la musique qui leur permet d’entrer en création au cœur de leur atelier.
 Il ne manquait donc plus à ce lien officieux qu’un hommage officiel … celui qui démontrerait que le support musical peut également devenir le support créatif  d’un collage.
 A présent, c’est chose faite … par Cyril Sandou.
 L’œuvre se nomme : L'homme qui...
 Il s’agit d’une œuvre réalisée à l’aide de papiers déchirés, journal, empreintes et  peinture, avec cette particularité d’être collée sur un disque vinyle de 30 cm de diamètre … ce que nous nommions, avant l’invention des CD et autres supports numériques, le fameux 33 tours.
 Coller sur un support vinylique n’est pas aisé, mais concernant les techniques de l’art du collage, le moins que nous puissions en dire est que Cyril en connaît… la musique.
 En dehors de la matière elle-même nous noterons également que le support circulaire est peu usité dans l’art du collage, même si certaines compositions sont régies par le cercle – telle La terre est bleue comme une orange dans le collage hommage à Paul Eluard de Gérard Siemons – mais dans  ce cas comme pour la plupart des autres, le format de la toile reste rectangulaire.
 Si ce sont les saphirs et les diamants qui révélaient jadis le son du microsillon, l’œuvre L’homme qui.. quant à elle se déjoue des bijouteries et autres artifices pour révéler le silence de sa mélodie : nous sommes là dans l’art du collage, entre l’entrechoquement des coups de cutters et les mélopées plaintives des papiers déchirés.
 Ainsi, si certains pensent que l’art contemporain ne tourne pas rond, il leur suffira d’entrer dans le cercle des vinyles disparus, où de s’allonger sur l’une des plages du disque et d’attendre le prochain salon du collage pour découvrir les nouvelles recherches et compositions de Cyril Sandou.
 Aux z’enfants de la patrie qui s’abreuvaient autrefois de sillons, les sillons encollés de L’homme qui … leur font maintenant écho, mais sans en rougir les campagnes, ni en égorger les féroces soldats.
 Au double jeu de l’art du collage, une face que l’on écoute, une face que l’on regarde : l’art en double face pourra à présent réfléchir comme en miroir le nom de Cyril Sandou, L’homme qui ….

arrêt sur collage - sur l'oeuvre de Jorge Rodriguez de Rivera

Si une hirondelle n’annonce pas le printemps, la simple photographie d’un cactus n’annonce pas forcément un collage.
C’est pourtant avec ce symbole végétal des Canaries que Jorge Rodriguez de Rivera labélise, pour ainsi dire, ses toiles.
Ce n’est pas là une signature – un tampon anonyme à l’encre mouillé au banal métaphorique - mais plutôt une appellation contrôlée comme celle que l’on confère à certains précieux territoires, tel un « made in » , une ancre à jamais jetée dans le port d’attache de ses souvenirs aux effluves canariennes.
Si un cactus n’annonce pas forcément un collage, disais-je, ce n’est pas non plus cette iconographie des cactées qui pourrait conférer à elle seule la signature d’une œuvre comme celle de Rodriguez de Rivera.
Entre divers artistes clés de cet art, utilisant au prime abord le même procédé du photocollage (et non du collage à proprement parler, ou du seul photomontage) – tel Prévert ou Monestier, il n’est aucunement difficile de différencier Jorge d’entre ses pairs.
Car dans ce domaine particulièrement usité, exploré, voir même parfois exploité à outrance - si ce n’est par d’autres - qu’est celui du photocollage, il a su apporter un style personnel, indélébile, et un souffle nouveau nourri par la métamorphose de l’au- delà inanimé en un présent imagé. Il mixe avec dextérité non seulement les photos contemporaines et les gravures anciennes, mais utilise aussi le procédé méticuleux et oublié du photomontage tel qu’inventé par Hausmann et Heartfield. En effet, il réalise lui-même ses photographies en fonction de l’angle choisi pour son œuvre en devenir faisant ainsi preuve d’un imaginaire digne des contes féériques de Lewis Carol et de la préciosité des ex-libris qui scellent l’empreinte des purs rêveurs, quand ceux-ci, dépassant l’embrun du songe, réinventent les nouveaux filaments avec lesquels ils tisseront les visuels poétiques de leur monde intérieur.
Il serait possible, par paresse ou oisiveté, de désigner les œuvres de Rodriguez de Rivera de collages surréalistes mais ce jugement ne pourrait provenir que d’un spectateur pressé et non d’un observateur contemplatif.
Car il s’agit moins de collage que de théâtre dans son œuvre, et même de théâtre où la mise en scène serait imprégnée d’hispanique littérature.
Là où Cervantès imaginait des géants en lieu et place de moulins à vent, lui crée un assemblage de deux mondes où les êtres de jadis vivent dans les décors du présent.
Mais dans cette faille née de la fusion de l’espace et du temps, qu’est qui est vraiment réel dans les collages de Rodriguez de Rivera ? Les moulins, ou les géants de Don Quichotte ; les gravures anciennes qui s’animent, ou ce décor contemporain qui se fige?
Il ne s’agit plus là de surréalisme, au sens où l’entendait André Breton,  mais d’avant réalisme, comme naît la réalité de l’avant réalité, celle qui est vie d’avant la vie, celle de toute heure prénatale, celle justement où tout devient possible, au singulier,  comme l’est l’Un possible de nos vies plurielles.
Dans les collages de Jorge Rodriguez de Rivera la magie opère non comme une traditionnelle addition d’éléments ou d’images savamment découpées et ajoutées, mais par la soustraction de la réalité à la surréalité.
En soustrayant le réel à l’irréel, et inversement, que reste t-il donc, autre que la poésie pure, celle qui se manifeste par les signes de ce qui précède l’acte poétique, celle qui nous laisse croire le temps d’un regard posé sur un tableau de Jorge : « Nous sommes ici, puisque nous ne sommes plus là ».

arrêt sur collage - sur une oeuvre d'Agnès Cukier

Nul ne connaît les arcanes du parcours emprunté par un artiste lorsqu’il compose : cheminement personnel où s’entremêlent, outre le savoir, la technique et l’imaginaire, le présent imagé au passé conjugué d’un à venir qui parfois n’en revient  pas.
On ne connait pas plus le pourquoi d’une œuvre, mais l’art étant avant tout une rencontre, et parfois même, une rencontre avec soi-même, cette connaissance-là n’est pas la clef indispensable pour ouvrir les portes subjectives d’une commune affinité.
Pourtant, en cette exposition de novembre 2014 intitulée L’art du collage au cœur de la création, je ne m’étais aucunement donné rendez-vous.
De permanence en permanence, comme tout organisateur digne de ce titre, je profitais d’un instant de calme – entre deux vagues de visiteurs – pour découvrir enfin  à mon tour les oeuvres accrochées aux cimaises et je naviguais de toile en toile, hissant haut la voile de l’émerveillement lorsqu’une œuvre – pareille à nulle autre – vint heurter la coque de mon frêle esprit.
Le responsable de cet abordage, le collage intitulé  « Ebruitement du silence » signé d’Agnès Cukier.
C’est devant cette toile que j’ai décidé de jeter l’encre.
« Ebruitement du silence » est un collage du mot « Silence » écrit plusieurs centaines de fois à la plume sur du papier parcheminé en translucide, donnant à l’ensemble, suivant le point de regard – bâbord ou tribord – un aspect de relief et de mouvement figé.
La technique ou plutôt le procédé utilisé relève de la littérature, et plus précisément de l’oxymore.
Ainsi, j’ai jeté l’ancre pour que les écumes se taisent, et que l’encre parle.
Mais parler du silence, n’est-ce pas en quelque sorte parler pour ne rien dire ?
Au même titre qu’une minute de silence n’est pas soixante secondes de non-dit, le silence peut-il devenir à son tour l’objet, non d’un malentendu, mais d’un mal entendant, ou d’un mal que l’on attendait plus.
C’est parfois ce que l’on ne voit pas dans une œuvre qui fait la différence avec telle autre, puisque l’invisible ressenti est cette différence non assujettie à l’indifférence.
Cependant faudrait-il ébruiter le silence de peur qu’il ne se taise ou qu’il ne fasse écho à d’autres silences : le silence qui se répète est-il un silence qui bégaye, ou un non-dit qui se dédit ?
Et « si la parole est d’argent et le silence est d’or », la parole non formulée  peut-elle être monnayable pendant que le silence dort ?
Enfin, l’affirmation d’une pensée verbale peut-elle se déployer dans une architecture picturale ?
Les réponses, multiples, ne peuvent qu’émerger que de la Poésie, autant que seuls les mots de la tribu ne peuvent être compris que par les ersatz de cette même tribu.
« J’écrivais des silences, des nuits, je notais l’inexprimable. Je fixais des vertiges  » affirmait Rimbaud dans son Alchimie du verbe.
Et Mallarmé, dans son manifeste L’art pour tous, en fixait les règles : « La poésie est l’expression, par le langage humain ramené à son rythme essentiel, du sens mystérieux des aspects de l’existence … ».
L’ébruitement du silence est affaire de poésie, ce lien naturel qui unit depuis trois cent cinquante années littérature et art du collage, et qui a été sublimé par certaines recherches de Jiri Kolar.
Chaque art a son langage, son mal, et ses mots, et le double langage de la poésie en collage pose en sa création les limites de la simple compréhension de son mouvement non quantifiable : Nous connaissons la vitesse du son, mais comment connaître celle du silence ?
Et celle de Son silence ?
De ces lettres collées, et de toutes les questions posées, une seule demeure après la vision :
Est-il possible d’être sans lettre ?

Arrêt sur collage sur l'oeuvre d'Hélène Donadieu

La légende affirme que c’est un perroquet qui est à l’origine des premières créations collagistiques d’Hélène Donadieu.
Mais faut-il porter crédit aux légendes, particulièrement de nos jours où plus personne ne prête crédit, si ce n’est en photographie.
Certes, cela ne serait pas la première fois dans le monde de l’art qu’un oiseau signe la destinée d’un artiste.
Les volatiles ont souvent marqué de leurs becs les plus belles pages de la littérature, tel l’albatros de Baudelaire, le corbeau d’Edgar Poe, sans parler de ceux d’Arthur Rimbaud quand, Seigneur, froide est la prairie, que les longs angélus se sont tus et que la nature défraîchie fait s’abattre des grands cieux ces chers corbeaux délicieux !
Et même dans l’art du collage c’est l’une des plus célèbres maximes de Max Ernst qui est trempée du sceau de leur duvet  :
« Si ce sont les plumes qui font le plumage ce n’est pas la colle qui fait le collage  ».
Ainsi donc tout commença en mars 1986 avec un perroquet … oiseau, symbole de la liberté et de l’espace….
Et cela ne peut être un hasard, puisque lorsque l’on consulte à tire d’aile le parcours de cette artiste on constate que dans une autre vie elle travailla au Centre Spatial Guyanais, participant aux lancements de quelques 140 fusées. Ainsi se créé le juste fil d’Ariane – si bien nommé en l’occurrence - qui relie le ara de légende à l’espace et à la liberté de création.
Mais des créateurs, et des collagistes, il y en a des millions – et il ne suffit pas de partir de rien pour revenir de tout.
Au jeu multiple de l’art du collage, Hélène abat ses cartes - et son atout maître en sera la kartégraphie : inutile de chercher ce mot dans le dictionnaire des hommes – ou le wikipédia des internautes - ce mot n’est présent que dans celui de l’imaginaire de l’artiste et permet à juste raison de différencier le faux semblant des semblables non pareils. Car le domaine où s’exerce l’art d’Hélène, est obscurci par des milliers de pratiquants : le monde figuratif – et Dieu sait – s’il s’en souvient - que créer sa propre empreinte dans ce domaine particulièrement utilisé si ce n’est usité qui est l’art du collage figuratif n’est pas chose facile.
Mais l’appel à sa propre technique, ses propres procédés, sous le vocable grec de kartégraphie – et résultant de longues années de recherche et de travail à en perdre son latin -  lui permet, avec le talent et la maîtrise qui fait la différence entre le paraître et l’être, de se différencier à tel point que lorsque l’on aperçoit une de ses œuvres dans une exposition collective relative à l’art du collage il nous vient à l’esprit non pas un procédé, non pas une technique, mais bien le nom seul de l’artiste : Hélène Donadieu.
C’est cela qui fait l’artiste, seul et unique, à nul autre pareil,  en dehors de toute auto-déclaration personnelle qui ne peut qu’être vaine et qu’aucun substantif – carte de visite, site internet, catalogue, exposition – même nourri de débordement pécunier, ne peut masquer.
Car si tous les artistes sont égos entre eux, peu sont égaux à l’Art.
Encore une fois, il ne suffit pas de paraître pour être.
L’art est une prière, et l’artiste donne à Dieu ce qu’il peut.
Hélène Donadieu ce qu’elle veut.
Et cette offrande en reflet de son art est sous le signe de la trinité baudelairienne : luxe, calme, et volupté.

Arrêt sur collage sur l'oeuvre de Catherine Eugène

Discrète entre les discrètes, Catherine Eugene élabore depuis plus d'une décennie une œuvre personnelle haute en couleurs et en fragments divers.
Glaneuse avant tout, elle a parcouru de multiples univers avant d'amarrer sa  pratique artistique à celle de l'art du collage - passant du batik, à la terre et au modelage, du fusain au pastel, du pinceau d'aquarelle à l'acrylique ... et des cartes d'art au collage.
Il était logique que tôt ou tard, son attrait pour les végétaux – de ses vagabondages inspirés à travers les jardins du Clos de Saint Saturnin (Saint Saturnin est un petit village de la Marne, à 25 km au Sud-Ouest de Sézanne et à 45 km au Nord-Ouest de Troyes) à l'usage de la simple pelure d'oignon ou d’échalote comme matière créative - la conduisent à la sainte alliance du papier et de la colle.
Notre première rencontre remonte à 2007, alors que Catherine était à la croisée de ces chemins qui allaient justement la conduire vers ceux qui sont jalonnés des embruns papivores.
Puis, nous nous sommes retrouvés lors d'une exposition en Bulgarie et depuis, nous n'avons jamais cessé de croiser nos existences numériques à celles de nos rencontres temporelles.
Mais si l'histoire s'est à présent fixée, Catherine quant à elle continue son parcours et ses recherches entre mélanges de papiers de soie ou de bonbons, d'intissés, d'emballages cadeaux, de photos troubles ou inachevées, de papier-journal ou magazines, de rubans ou de feuilles qui s'insèrent aux papiers froissés, mais d’où émergent toujours des nuances d'acrylique.
Toutes les traces, qui jalonnent celles de la vie, présente ou passée, sont pour elle sources de création : Le gène de son inspiration n'est-il pas signé par l'Eugène de sa propre identité ?